Troisième Article
DE LA DIFFICULTE DE LIRE
Pour qui n'y est pas habitué, la lecture est une épreuve, et ceci pour plusieurs raisons. Au départ, l'enfant n'a pas envie de faire l'effort d'apprendre des lettres abstraites, de mettre en ordre les mots, les signes. Il refuse ce décodage laborieux. Et moins il lit, moins il a envie de lire. Le pli est pris pour longtemps.
Adulte, il répugne à déchiffrer autre chose que les gros titres des journaux. Pour la plupart des gens, un livre fait office d'épouvantail. Mais le manque d'entraînement n'est pas la seule cause de défection. Beaucoup de lettrés eux-mêmes, rechignent à s'intéresser à autre chose qu'à leurs besoins nécessaires sélectifs.
La principale raison de ces abandons naît d'un effet pervers. dans toute nation dite évoluée, l'idée que le LIVRE est sacré, est une notion inculquée dès la naissance. Du coup, le texte sacro-saint déifié définitivement, ne doit pas être abordé à la légère. Un manuscrit DOIT être mis en valeur, relié, mis dans une bibliothèque et surtout LU soigneusement du début à la fin, sans que jamais une virgule ne soit sautée.
Combien de lecteurs, honteux et repentants, regardent le mémoire posé sur leur table de nuit, sans pouvoir s'y plonger plus d'une minute avant de bâiller. Du coup, ils ne lisent plus du tout, car ils s'imposent la corvée de finir le bouquin commencé, avant d'en prendre un autre.
Le doré de la tranche a beau briller d'invite séduisante dans la pénombre, le luxueux marque de page leur fait signe. Le haut-le-coeur est là, souvenir des corvées scolaires. Le volume reste en plan, dans sa niche. Pourtant les lecteurs plein de bonne volonté se chagrinent.
Pour combattre le mauvais sort, il existe un moyen efficace qui a fait ses preuves. Il suffit de descendre la chose imprimée de son piédestal, de se mettre une bonne fois pour toutes dans la tête qu'un ouvrage n'a de valeur (à part celle du collectionneur, de la rareté, ou du luxe du livre) que dans son message. Et, même encore, le même texte n'aura pas le même poids selon le lieu, l'époque ou l'état d'esprit de son lecteur.
Une écriture n'a pas de qualité intrinsèque. Elle ne vaut que par l'usage que l'on en fait. Dans chaque oeuvre ou presque, il y a au moins une phrase faite pour "MOI". Plus je survolerai de volumes, plus j'aurai de chances d'y trouver mon trésor.
Voilà le secret. Il faut oublier qu'une brochure doit être respectée, que ce soit en tant qu'objet concret ou en tant que porteur de pensée plus ou moins anonyme. Un livre est fait pour MA personne, pour que je le regarde, que je le triture, que je l'abandonne, que je le reprenne, que je le tache de café, que je le grignote à ma guise, comme un lapin savoure son serpolet en le piétinant de joie.
Alors, les règles de la lecture rapide s'imposent. Mais avant de les aborder, réfléchissons. Pourquoi lit-on? A part pour s'instruire, beaucoup de motifs existent. Ce sera pour se distraire, pour faire chic, pour être au courant, pour se pavaner en tant que lecteur, bref pour les autres, ce qui n'est pas un mobile valable. Du coup, on le repousse aux weekends, aux vacances, aux transports en commun. Pendant le reste de l'année, on n'a pas le temps.
Une seule raison primordiale existe. Mise à part l'éblouissante aventure réalisée avec un auteur qui nous emporte dans sa folie voyageuse (en effet, il faut être fou pour écrire, en pensant que l'on va intéresser l'autre), moi, liseur anonyme, JE dois trouver ici, et maintenant, parmi ces centaines de feuillets, mots écrits et jetés comme des bouteilles à la mer, dans des librairies ou sur le Net, un message fait pour "MOI". Je ne veux pas le rater.
Il va donc me falloir survoler très vite les signes qui passent à portée de mon oeil et les messages rencontrés au hasard, multiplier les rencontres. Comment? Par les méthodes progressives de lecture rapide. Elles sont au nombre de cinq. Elle se décline par ordre de vitesses différentes, allant de la plus véloce à la plus approfondie.
Franck Wallack